Décès de Valérie SARABEN

Nous avons pris avec tristesse la disparition de l’épouse de notre ami et collègue Jacques SARABEN.

Bien qu’elle ne fût pas elle-même membre de notre Académie, elle fut néanmoins honorée par celle-ci qui lui attribua en 2018 le prix Bernard Lesfargues de la traduction.

Nous lui rendant donc hommage en publiant le discours que notre Président lui dédia à l’occasion de la remise de cette récompense :

Il était une fois une jeune et jolie petite anglaise du nord du Royaume-Uni, précisément de cette région de lacs, de landes et de légendes, on est tout près de chez les sœurs Brontë. A dix-sept ans la petite anglaise, qui s’appelle encore Valérie Ellison, débarque en France, une France dont elle a tellement rêvé adolescente. Cette France où tout lui semble plus libre et plus ensoleillé qu’ailleurs, les rencontres, les rires, les amours, la littérature. Elle y vient pour parfaire son français, enseigner l’anglais et satisfaire son désir de liberté. Trois ans plus tard, au prétexte d’élaborer des manuels pédagogiques à destinations d’étudiants français, par nature rétifs aux langues étrangères, la petite anglaise fait la connaissance, et bien vite fréquente assidument un sémillant conseiller pédagogique pour l’enseignement de l’anglais en Aquitaine. Un certain Jacques Saraben. (Ah ! Jacques, le phantasme des petites anglaises !!!) Et depuis, leur histoire d’amour est de celles qui durent toujours.

         Il n’empêche, je crois que pour celle qui vit aux côtés de Jacques Saraben, l’enseignant flamboyant, l’artiste peintre, le photographe, le fou de littérature, se pose aussitôt une question existentielle, question que se posa tout naturellement Valérie : « To be or not to be » (dans le texte) Oui ! pour Valérie, être ou ne pas être était la question. 

        Et bien Valérie fut ! Elle fut et fit, et continue de faire beaucoup de choses, et je sais qu’elle fait tout cela à la grande fierté de Jacques. Comme quoi !

           Valérie devint enseignante, interprète et traductrice officielle de la Maison des Sciences de l’Homme à Bordeaux. Elle traduisit une pléiade de communications savantes d’universitaires et d’auteurs du monde entier. Elle a aussi traduit les confidences que le peintre Francis Bacon fit à son ami Jacques Saraben. En Dordogne, elle collabore avec les auteurs périgourdins et traduit les travaux et les scénarii de Sophie Catoire.

             Et ainsi Valérie joue, jongle, jubile avec l’anglais et le français, passant de l’un à l’autre avec une aisance et une grâce peu commune. André Gide, qui fut lui aussi traducteur, disait que c’était un métier si difficile qu’il fallait être écrivain pour l’exercer. En effet pour faire passer d’une langue à l’autre les subtilités, les états d’âme et les sous-entendus de l’auteur que l’on traduit sans le trahir, ni trahir les pleins et les déliés de son style, en somme traduire l’esprit et la musique plutôt que les mots, et le faire avec l’aisance d’une composition originale, il faut, comme disait Gide, être écrivain soi-même. Et je ne crois pas me tromper en affirmant que Valérie a le sens de la littérature, comme d’autres ont l’oreille musicale. C’est une artiste. Oui, c’est ce que vous êtes Valérie : une artiste. 

            D’ailleurs n’avez-vous pas été aussi, chère Valérie, actrice au cinéma, comédienne au théâtre, metteur en scène, lectrice de beaux textes, conteuse ? Et on vous écoute lire, dire, conter avec un immense plaisir, on y trouve un art poétique dont je m’en voudrais de parler ici trop brièvement. Et toujours avec cette petite musique qui vous est propre, et aussi ce petit brin d’accent britannique, mais en plus discret, plus subtil, plus sensuel que celui de notre autre petite anglaise devenue, comme vous, tellement française : Jane Birkin 

            Je dois enfin avouer, foin de modestie, que certains d’entre nous, qui sont ici ce soir, ont eu la chance et le bonheur d’être lus ou traduits par vous. 

           Merci, chère Valérie, pour tant de talents, tant de poésie. Je me souviens du jour où vous aviez même envisagé d’ensemencer de fleurs les champs qui jouxtent votre jolie maison de La Lande !

           Quand vous étiez petite fille, vous aimiez beaucoup Lewis Carroll et son Alice au Pays des Merveilles. Votre pays des merveilles, Valérie, vous l‘avez trouvé en Périgord. Je sais qu’il ne vous a pas déçu !

          Quelle chance pour nous !  

                                                                                                                     Michel Testut