Il est tentant de prétendre que, depuis Lascaux, le Périgord est une terre d’artistes. Et pourtant c’est la vérité ! Les écrivains, les peintres, les sculpteurs, les photographes y furent sans doute plus nombreux qu’ailleurs. Bertran de Born, Montaigne, La Boétie, Brantôme, Fénelon, Lagrange-Chancel, Joseph Joubert, Léon Bloy, Eugène Le Roy, Pierre Lachambeaudie, Guy de Larigaudie, André Maurois, Jean Orieux, Albéric Cahuet, Georges Rocal, François Augiéras et Claude Seignolle, qui fut doyen de l’Académie, n’étaient-ils pas du Périgord ? Et les peintres Lucien de Maleville, Robert Dessales-Quentin, Jean Cluseau-Lanauve, Maurice Albe, Gilbert Privat, Marcel Lhote, Julien Saraben, le graveur Claude Durrens ou l’affichiste Alain Carrier et tant d’autres encore, les photographes Etienne-Eugène Dorsène ou Bernard Dupuis, tous ne sont-ils pas de chez nous ?
Voilà le constat et l’idée maîtresse qui ont justifié la fondation d’une Académie des Lettres et des Arts en Périgord. Sa vocation : défendre et illustrer la création artistique régionale. C’est-à-dire soutenir, face au grand courant mondialiste, ces francs-tireurs qui bataillent, la plume ou le pinceau à la main, pour sauver l’originalité culturelle de notre petite patrie et sa merveilleuse diversité.Ainsi, chacun dans son art et sa manière participe au rayonnement des terroirs, un irremplaçable patrimoine de l’humanité.
L’expression artistique est fondamentale dans nos repères : ceux de notre imaginaire, de nos pensées et bien sûr ceux de notre identité, tant intime que géographique. De même la matérialité essentielle d’une région est éminemment littéraire et picturale : elle tient à cette irisation impalpable des œuvres d’art qui fondent sa substance, son épaisseur et sa saveur. Gérard Fayolle, président d’honneur de l’Académie des Lettres et des Arts du Périgord, se plaît à rappeler « qu’un pays qui n’a pas d’éditeurs est un pays qui n’existe pas ». Et pour renchérir, j’ai la conviction que la Provence ne serait pas ce qu’elle est sans Daudet, Mistral, Giono et Pagnol, la Normandie non plus sans Maupassant, Flaubert et La Varende, et l’Auvergne sans Pourrat, Vialatte ou Anglade, la Sologne sans Genevoix, le Berry sans George Sand, le Limousin sans les auteurs de l’École de Brive, l’Aquitaine sans Mauriac, Chartres sans Péguy, Sète sans Paul Valéry, et Saint-Malo sans Chateaubriand ne serait pas non plus aussi mythique dans l’imaginaire collectif. Et qu’en serait-il de l’âme russe sans Dostoïevski et Tolstoï, du sud profond américain sans Faulkner ? Je remarque avec un petit sourire frondeur et satisfait que tous ces écrivains du cru, ces « plumitifs régionalistes » comme les qualifia parfois la condescendance de certains de leurs contemporains,sont devenus des monuments de la littérature universelle.
Oui, une grande part du magnétisme d’une région naît de mots, de mots imprimés dans des livres, et des représentations picturales de cette matière admirative dont le plus modeste éclat, une image, quelques pages, quelques lignes parfois – je pense à celles, fameuses, d’Henry Miller – suffisent à l’identification immédiate et définitive d’un pays, suffisent à lui conférer supplément d’âme pour la séduction, et valeur ajoutée pour l’économie. Depuis un siècle, les fresques de Lascaux puis Eugène Le Roy et son Jacquou ont fait plus pour la renommée et l’essor du Périgord que les meilleures campagnes de publicité.
André Maurois, Jacques Chastenet, le Duc de La Force et Henry de Ségogne.
L’idée d’une Académie du Périgord est ancienne. Sous la Régence, le dramaturge razacois Francois-Joseph de Lagrange Chancel en avait rêvé. Au début du vingtième siècle, le poète du barreau Amédée de Lacrousille l’avait appelée de ses vœux. Il fallut attendre les années soixante pour que le romancier Guy de Lanauve, auteur des chroniques fameuses d’Anaïs Monribot,reprenne à son compte le dessein de ses illustres prédécesseurs. Grâce à son charme et à son incomparable entregent, Guy de Lanauve réussit à fédérer autour de son projet les grands intellectuels périgordins de l’époque. Parmi les premiers académiciens du Périgord, citons André Maurois, Jacques Chastenet, le Duc de La Force, tous de l’Académie française, Georges Bonnet, ancien ministre, Dujarric de la Rivière, responsable de l’Institut Pasteur, le professeur Grassé de l’Académie des sciences, le recteur Jean Capelle, Henri de Ségogne, initiateur aux côtés d’André Malraux de la restauration de Sarlat, Guillaume de Tarde, conseiller d’État, et Marc Blancpain, romancier secrétaire général de l’Alliance Française. Excusez du peu !
Les statuts de la toute nouvelle Académie des lettres et des arts du Périgord furent déposés à la Préfecture de la Dordogne et publiés au journal officiel du 6 mai 1961. Le puissant industriel Sylvain Floirat (Fondateur de Matra et de Europe n°1), qui avait des tendresses de midinette devant tout ce qui émanait de son Périgord natal, en devint aussitôt le généreux mécène. Il octroya une dotation d’un million de francs pour récompenser les artistes les plus talentueux à célébrer le pays de Montaigne. Heureux temps !
De Guy de Lanauve à Bernard Lesfargues
Après Guy de Lanauve, soixante ans durant les présidents de l’Académie se relayèrent : le professeur Paul Grasset, le poète Paul Roger, un ami de Jean Secret, puis en 1978 le célèbre majoral Jean Monestier à qui succéda en 1980 Jean Valette, auteur de travaux faisant autorité tant en histoire qu’en archéologie et publiés chez Nathan, au CNRS ou aux PUF. Puis ce fut le poète Paul Courget qui assuma la charge. En 1999 c’est Bernard Lesfargues qui prit la présidence avec à ses côtés Annie Delpérier, fille de Paul Courget, et l’écrivain Catherine Guillery.
Je me souviens avec émotion de Bernard Lesfargues, esprit libre s’il en fut, poète lumineux, amoureux des langues et des littératures d’ailleurs, occitan à jamais et pour toujours, éditeur élitiste qui publia le poète espagnol Vicente Aleixandre, futur prix Nobel de littérature. Nous étions nombreux qui venions faire visite à Bernard Lesfargues comme on fait hommage à un roi. Un vieux roi aimant et tutélaire, une sorte de Roi mage auprès duquel on était tout à coup nouveau-né. Nous repartions chaque fois éblouis, comme envoûtés. Les ans et la maladie eurent raison de sa ferveur. En 2010, c’est Annie Delpérier qui lui succède à la présidence de l’Académie.
Annie Delpérier, une présidence prestigieuse.
Pendant vingt ans Annie Delpérier s’est imposée comme une incarnation flamboyante de l’Académie du Périgord. Sa grande culture, son élégance, son efficacité et son panache firent merveille. « Le souffle de votre enthousiasme pour les Belles Lettres, je le garde dans mon cœur » lui a écrit Paul Placet. Mille anecdotes courent sur cette personnalité hors du commun : elle a fréquenté Marcel Pagnol, Joseph Kessel, Robert Sabatier, Jean Joubert, lorsque jeune étudiante elle vivait à Paris. Puis, de retour en Périgord, elle devint éditrice de poèmes, tint rubrique radiophonique dans différentes stations du département, anima l’Association des Amis de la Poésie, se fit même ambassadrice du Consulat de la Vinée de Bergerac. Mais on ne peut lui dénier la passion des lettres dans ce qu’elle a de plus désintéressé. Car si présider l’Académie des Lettres et des Arts fut pour elle une mission prioritaire et son action au quotidien, elle l’a fait au détriment de sa vocation d’auteur et d’une œuvre littéraire personnelle. Annie aimait écrire et pouvait tout écrire, et elle n’a jamais écrit un mot sans avoir quelque chose à dire d’intelligent, de pénétrant.
Après sa disparition en mars 2019, les nouveaux responsables de l’Académie se sont donné pour tâche de poursuivre son entreprise.
Tout ce que le Périgord a compté et compte de talents artistiques est honoré par l’Académie.
Depuis soixante ans, l’Académie des lettres et des arts du Périgord est une institution qui tient de l’auberge espagnole. Chacun de ses membres y apporte créativité avec modestie et générosité. Tous – écrivains, historiens, poètes, peintres, illustrateurs, photographes, musiciens, chanteurs, éditeurs ou châtelains, restaurateurs de forteresses, maîtres de l’art culinaire – y ont une ambition commune : se retrouver en amitié et faire rayonner le patrimoine artistique et historique du Périgord. Pour y parvenir, ils organisent des manifestations nombreuses et variées : remises de prix, colloques, publications diverses (Amoureux du Périgord et Figures du Périgord), pose de plaques commémoratives et bien sûr réception de nouveaux académiciens.
Ainsi depuis plus d’un demi-siècle, toutes celles et tous ceux qui participèrent à l’éclat culturel du Périgord eurent affaire avec l’Académie. Aujourd’hui on peut y croiser Jean-Claude Allard, Alain Armagnac, Isabelle Artiges, Catherine Alcover, Jean-Luc Aubarbier, Anne Bécheau, Alain Bernard, Jean Bonnefon, Guillemette de la Borie, Hervé Bruneaux, Bernard Clergeot, Bertrand Borie, Hervé Bruneaux, Martine Cadière, Michel Chadeuil, Michel Combet, Hubert de Commarque, José Corréa, Jean–Claude Dugros, José Dupré, Janine Durrens, Erik Egnell, Gérard Fayolle, Jean Ganiayre, Jean-François Gareyte, Pierre Gonthier, Miton Gossare, Jean-Pierre Got, Catherine Guillery, Catherine Hilaire, Michel Houssemaine, Jacques Ibanez, Virginie Jouany, Danièle Labatsuzan, Bernard Lachaise, Claude Lacombe, Monique Lafon, Jean-Michel Linfort, Thalie de Molènes, Marcel Pajot, Guy Penaud, Paul Placet, Robert Poudérou, Francis Pralong, Jacques Reix, José Santos-Dusser, Jacques Saraben, Pascal Serre, Martine Sombrun, Jacky Tronel, Martin Walker… Sans mentionner tous ceux qui reçurent un prix pour leurs œuvres.
Une vocation qu’elle entend bien assumer durant de longues années encore !
Michel TESTUT
Président de l’Académie des Lettres et des Arts du Périgord