Décès de Bernard SINTÈS

Nous avons eu la tristesse d’apprendre la disparition du poète Bernard SINTÈS, survenue le 15 décembre dernier.

Ses obsèques se sont déroulés le 20 au cimetière du Fleix.

Bien qu’il ne fût pas membre titulaire de l’Académie, il était au nombre de ses Amis et auteur du texte Un amour en Dordogne pour notre premier ouvrage collectif AMOUREUX DU PÉRIGORD (2014), et de Charraf est de retour. Une digression où il est aussi question des vins du Bergeracois dans notre second, FIGURES DU PÉRIGORD (2016).

L’Académie avait également honoré son travail par le prix Paul Courget de poésie 2011.

Nous publions ci-dessous le texte que rédigé par Catherine GUILLERY, vice-présidente de l’Académie, en hommage à Bernard SINTÈS :

« Né en 1963, à Marseille, il passe une grande partie de son enfance à l’étranger, au Moyen-Orient et en Yougoslavie au gré des diverses mutations de son père. Sa sensibilité s’imprègne de ces voyages et lui laisse un sentiment de flotter dans un monde avec lequel il n’a que des attaches passagères. De retour en France, il s’installe en Dordogne auprès de ses parents à Faux, après avoir travaillé quelque temps comme bibliothécaire à Paris. 

En 2012, il part en Inde pour enseigner le français à l’Alliance Française. Mais au décès de son père, il revient à Faux pour s’occuper de sa mère pour laquelle il fera preuve d’une très belle attention.

Au décès de sa « chère mère », comme il disait, il repart en Inde dont il ne rentrera qu’il y a très peu de temps. 

C’était un merveilleux poète. Poète dans son écriture poétique, mais aussi dans ses écrits en prose et dans la vie.

Il a fait partie pendant plus de trente ans de la société Les Amis de la Poésieà Bergerac, dirigée par Annie Delpérier qui avait une très grande estime pour lui. 

Toutes ces années, il a publié divers recueils dans la revue La Toison d’Oret sa collection, Le Poémier de Plein Vent : Hommage à Pan Hermaphrodite, Les Noces avec le sol, Le chant des Lupercales, La terre, le ciel, le jaune, suivi de Choses vues, Cantilène à Calcutta. 

Aux éditions Encres vives, Le soleil, l’effondrement, 28 haïkus de cycle lunaire chez Vincent Rougier éditeur, Le Rameau d’offertoire aux éditions l’Harmattan.

Il a collaboré à de nombreuses revues poétiques, Jalons, lesCahiers de SchibbolethLe SpantoleEnvolLa vie multiplePoétiques hivernales.

Il faisait périodiquement de belles lectures dans divers centres littéraires et poétiques.

En Inde, à Calcutta, il écrit sur son ressenti des êtres et des paysages, et Bernard Deson publiera, en 2013, aux éditions Germes de Barbarie,un recueil, récit ou carnet de ce voyage : Avec les yeux bi-objectifs du caméléon.

Il a reçu plusieurs prix de poésie, notamment deux de l’Académie des Lettres et des Arts du Périgordet a participé à deux ouvrages de cette institution, Amoureux du Périgord et Figures du Périgord.

Bernard Sintès était aussi poète dans la vie, un passant sur cette terre. Un regard, également, de philosophe et d’érudit.

« Il fait beau, je m’adresse mystérieusement

A vous comme à un Dieu

De qui la voix s’est évaporée au soleil.

Il n’y a pas d’oiseaux en ce jour de nuages

Pas d’oiseaux à rayer le ciel bleu ;

Juste un silence dont les insectes sont dévots ;

Au bout de ma phrase, il y a une étendue.

Le plat nu de la terre

Comme un tableau qui reste à peindre.

Et ma voix disparaît

Dans ce chant qu’obscurcit

L’évidence solaire.

Par quel côté la terre

Garde un contact

Avec le ciel ?

Je voudrais

n’avoir à parler que du ciel.

Une autre fois. » 

B S

Nous faisons apparaître ci-dessous un autre hommage à Bernard SINTÈS qui nous a été adressé par notre ami académicien Bernard DESON :

« Portrait griffonné de mon ami Bernard Sintès terminé à l’instant, c’est-à-dire trois heures après avoir appris son décès. Quand je parle d’amitié, la nôtre fut singulière avec des “vous”, une distance contenue mais une fidélité sans faille. Oui, Bernard est le seul auteur de mon âge qui me vouvoyait toujours après dix ans de pratique. 

» Bernard Sintès est né en 1963 à Marseille. Enfance placée sous le signe du voyage : Moyen-Orient, Turquie, Europe de l’Est. Rentré en France en 1980, il vit depuis dans un petit village du sud de la Dordogne, entouré de l’affection de sa mère et des règles strictes imposées par sa grammaire. Intransigeant avec l’imparfait du subjonctif et avec le conditionnel, dès qu’il le peut, il prend le large direction l’Inde ou l’Europe centrale pour des missions proposées par l’Alliance Française ou pour importer des tissus précieux et en faire commerce, Rimbaud n’était-il pas trafiquant d’armes ? Nous avons pris langue en 2000 lors d’un Marché de la Poésie à Issigeac où j’exposais. Sans s’éterniser sur mon stand, au moment de repartir, il m’offrit une plaquette, “Marcher avec les arbres”, qui m’impressionna par sa qualité d’écriture et par la force émotionnelle que son auteur avait su y enfouir. Bernard Sintès définit sa poésie comme « un affleurement épidermique de tout ce qui se passe sous la peau ». Deux ans plus tard, il publiera “Le chant des Lupercales” dans la collection “Le Poémier de Plein Vent” et, en 2005, son premier recueil « distribué », intitulé “Le rameau d’offertoire”. Son inspiration ? Il la trouve dans le langage et dans les sonorités et assume sans complexe son paganisme : « Le mystère n’est pas religieux, il s’agit de ce que l’on perçoit sans savoir ce que c’est. Cela peut porter vers une forme de contemplation et replacer l’homme dans l’univers. »

» Nous nous croisions souvent Bernard et moi, dans les lieux les plus improbables comme le bar qui faisait face aux caisses du Centre Leclerc de Bergerac où il attendait sa mère partie faire les courses en buvant un café ou une bière. Il nous arrivait aussi de nous retrouver dans les travées de la Librairie Colline à Bergerac et plus exceptionnellement lors de lectures de poésie. En 2014, quand j’ai repris mes activités d’éditeur après une pause de quatre ans, je cherchais un auteur-étalon pour une collection consacrée aux carnets d’écrivain : relations de voyage, journaux, cahiers d’esquisses. Le concept est large et ne demande qu’à le rester. Je téléphone à Bernard Sintès pour lui présenter la chose. Il évoque un séjour à Calcutta en 2008 et les notes qu’il a prises à cette occasion : « Je doute parfois que mon voyage en Inde fût vraiment un voyage. Ce que je découvre à l’étranger, et plus particulièrement dans les pays les plus antipodaux à ma culture, à mon mode de pensée, me sert à redécouvrir ce que je suis en France. Pour le dire en d’autres termes, quand je me trouve loin de chez moi, je prends conscience, par comparaison, de ce que ma familiarité avec la France a de singulier. Alors même que cette singularité m’échappe quand je suis en France. Tel peut être le but du voyage : une rétrospection au sens littéral ; une manière de regarder derrière soi et, par voie de conséquence, une nostalgie ». Six mois plus tard, “Avec les yeux bi-objectifs du caméléon” sera le premier titre de la collection “Carnets” des éditions Germes de barbarie. Arrivé à un carrefour à la fois sur le plan technique et en ce qui concerne la distribution, je n’avais pas encore toutes les réponses en 2014. Son livre n’a donc pas pu bénéficier d’une distribution complète et je le regrette. Voici quelques lignes tirées de ce livre : “Écrire, c’est faire un trou, toujours le même. Il fait chaud. On ne peut qu’avoir chaud. La présence des nuages en boule, quoique clairsemés, est un indicateur de la chaleur qui est hâleur, ébouriffeur, torpeur, fonderie. On s’est décidé à creuser la terre. A faire un trou circulaire, plutôt une tranchée. A l’aide d’une pelle dont l’acier brille en accord avec l’éclat plombé du ciel d’été. On fait passer la pelle à l’oblique sous la terre, heureusement plastique, — la terre meuble ou immeuble — en forçant avec son pied, de préférence d’un coup sec, de sorte à enfoncer la pelle sur toute une longueur de pelle, soit trente centimètres environ. Tout le corps travaille. Tout le corps mobilisé dans l’effort est en travail, sans qu’on s’en rende compte, tout au moins dans les premières minutes où l’on a commencé à creuser, croyant n’user que de ses mains qu’on n’a pas pensé à protéger par des gants de jardinier pour leur éviter les ampoules, les écorchures, le temps blessé. Voilà, on retourne la terre. On la tourne d’abord, délicatement, autant que faire se peut, du côté des racines, des crampons déracinés, du côté où la terre est cachée puis dévoilée, mise au jour dans le jour pénétré de torpeur végétale et de nuages de chaleur traversés, à leur tour, par le cri stridulé des faucons qui ont fait halte à la lisière du bois. Après quoi, dans la foulée, — c’est-à-dire dans un même mouvement assurant la fluidité des gestes et, partant, des actions — on la retourne. On retourne la terre. Elle est du bon côté, croit-on. On est du bon côté de la terre vivante d’où l’on voit l’herbe échevelée, — les brins cassés comme de petits os réduits à des esquilles —, à présent désertée des insectes sauteurs, sautilleurs. Presque tous les insectes de l’herbe cassée, telle qu’elle se trouve en été, en partie desséchée et jaunie, écrasée de poussière odorante, savent sauter, bondir, se dérober d’un coup sec. Hop. Les jolies sauterelles vertes de France. Marron. Tigrées. C’est par leurs couleurs qu’on les distingue le plus aisément. Surtout si l’on n’a pas de solides connaissances en entomologie. C’est la couleur, je crois, qui aide le mieux à les reconnaître. Même si l’on ne sait pas leur donner un nom. Les insectes détalent des mottes carrées qu’on découpe, — que, pétulamment, l’on tranche au moyen de la pelle tranchante et brillante dans la terre tendrement plombée mais non moins légère. Comme ça. On retourne, on détourne. Le travail avance, ça se voit. On ne se retourne pas sur son travail. Il faut terminer avant ce soir. Le plus tôt sera le mieux..” »

Bernard Deson